Contexte
L'université connait aujourd'hui une « réplique » de la seconde explosion universitaire du début des années 1990. La France n'a jamais autant diplômé (Hugrée et Poullaouec, 2022), alors que les taux de réussite des étudiants en licence restent stables. La littérature met en exergue plusieurs facteurs de la réussite à l'université : les caractéristiques sociodémographiques, le parcours scolaire, les conditions de vie et d'étude ou encore les contextes d'études, etc. (Romainville et Michaut, 2012 ; Annoot et al. 2019 ; Berthaud et al. 2019 ; Michaut, 2021). Par ailleurs, les conceptions autour de l'échec et de la réussite des étudiants ont évolué, les préoccupations autour de la santé mentale et du vécu des étudiants étant prises en considération plus récemment. De surcroît, depuis quelques années, une place prépondérante est faite à l'accompagnement des étudiants (Lugnier et al., 2020), notamment par certains enseignants-chercheurs qui adoptent une nouvelle « posture » à l'université (Paivandi, 2016). Ainsi, parler de réussite étudiante et d'accompagnement permet « d'observer la réussite du point de vue des étudiants » (Millet, 2012 ; Bodin et Orange, 2013 ; Michaut, 2021).
Au sein de l'Université Savoie Mont Blanc (USMB), l'accompagnement des étudiants a constitué un axe majeur du projet NCU @SPIRE[1]. Dans ce contexte, le dispositif « Directeurs des Études (DE) - Accompagnateurs à la Réussite Étudiante (ARE) » a été mis en place en 2020 dans la filière STAPS. L'expérimentation a été étendue à la rentrée 2021 dans neuf formations, puis généralisée à l'ensemble des filières de l'USMB en septembre 2022. Ce binôme a pour objectif l'accompagnement individualisé à la réussite étudiante. Il vise une prise en charge des problématiques de l'étudiant, qu'elles concernent la sphère académique ou personnelle.
Problématique et méthodologie mixte
Après trois ans d'existence, comment l'accompagnement à la réussite étudiante est-il perçu et vécu avec la mise en place du dispositif DE/ARE ? Quel bilan peut-on dresser ? Quels sont les leviers et les freins à la pérennisation ou au transfert du dispositif ?
Les données présentées sont tirées de l'analyse de chiffres recensant l'activité des ARE et d'entretiens réalisés auprès d'une trentaine d'étudiants de Licence 1, réinterrogés l'année suivante ; d'une dizaine d'enseignants-chercheurs, dont certains DE, ainsi que de BIATSS[2] dont huit ARE, en poste ou ayant quitté leur fonction.
Une nouvelle figure de l'université, l'Accompagnateur à la Réussite Étudiante (ARE)
Dans le cadre du projet NCU @spire, le métier d'ARE a été créé, pensé et conçu comme une personne ressource pour les étudiants et les enseignants des mentions de Licence. L'ARE est envisagé comme le premier interlocuteur ou le premier filtre pour les étudiants avec les différents services de l'université.
La mission principale de l'ARE est de rencontrer individuellement les étudiants qui présentent des difficultés ou des besoins particuliers. En fonction des problématiques soulevées, l'ARE communique des informations à l'étudiant et/ou le redirige vers le service adéquat (santé, handicap, international...). De plus, il crée et anime des ateliers autour de l'organisation du temps, de la concentration, de la gestion du stress et des émotions, ou encore de la prise de notes. Il participe aux événements de l'université (journées d'accueil, portes ouvertes, salons, immersions des lycéens), ainsi qu'aux événements des filières (forums des métiers, soirées de l'orientation) de même qu'aux conseils de perfectionnement.
Rattaché au service d'orientation et d'insertion professionnelle, il est en filière quatre jours par semaine. Actuellement, l'USMB compte sept ARE dont un ARE coordinateur. Cela représente une moyenne d'environ 1 000 étudiants de licence par ARE.
La création d'un binôme avec les directeurs des études
Les missions de l'ARE sont pensées en complémentarité de celles d'une nouvelle fonction en cycle licence, le Directeur des Etudes. De la même façon que pour les IUT qui possèdent des directeurs des études, il a été pensé une duplication de ce rôle en licence avec des adaptations. Il est chargé d'accueillir et d'informer les étudiants dès la rentrée en L1 ; détecter leurs besoins et leurs difficultés ; élaborer le contrat pédagogique et en réaliser le suivi ; passer le relai à l'ARE ; organiser et gérer les dispositifs de réussite tels que les parcours réussite et les tests de positionnement.
Chaque licence a désigné un DE. Sur seize personnes assumant cette fonction, treize sont enseignants-chercheurs, une est enseignante contractuelle en CDI et deux sont des enseignants contractuels en CDD. Les enseignants-chercheurs sont donc nombreux à endosser ce rôle qui vient s'ajouter à d'autres tâches administratives comme celui de directeur de département ou responsable d'année (Annoot, 2012 ; Perret, Berthaud et Demougeot-Lebel, 2016). Devenir DE s'avère une charge supplémentaire parmi d'autres tâches, souvent inégalement réparties (Faure, Soulié et Millet, 2008). Toutefois, jusqu'à la création du rôle de DE, les étudiants étaient accompagnés par l'équipe pédagogique sans que les missions soient officiellement reconnues (Losego, 2004). Comme l'indique une DE « je conseille beaucoup les étudiants en tant que directrice des études, mais pour moi, c'était déjà mon rôle, même sans ce titre-là ». Le changement réside dans la rédaction d'une lettre de mission signée par le président pour trois ans donnant lieu à une décharge horaire variable selon la taille des promotions.
Le binôme s'articule autour de quatre temps correspondant à quatre missions principales : accueillir les étudiants, prévenir les difficultés et le décrochage, détecter les étudiants aux problématiques académiques et/ou personnelles, les accompagner tout au long de l'année.
Le métier d'ARE à construire dans le temps
Le métier d'ARE n'existant pas avant le projet @SPIRE, l'enjeu a été non seulement de le faire connaître auprès des étudiants, des enseignants et des services mais également de le faire accepter. Les premiers ARE racontent ainsi un travail de légitimation de leur présence et de leurs actions. L'un d'entre eux explique :
« Au début il faut convaincre les gens, il faut leur expliquer pourquoi ça va marcher... Pour moi c'était normal qu'un projet au début soit balbutiant [...] pas d'un point de vue que technique mais d'un point de vue politique ».
Au départ, des ARE ont dû composer avec des résistances. Certains DE, par exemple, considéraient prendre suffisamment en charge les étudiants et ne pas avoir besoin d'intermédiaire, notamment dans des filières de petite taille. Comme le rappelle un ARE au sujet d'un DE :
« On a eu un premier rendez-vous, il disait “ben non, j'en n'ai pas besoin quoi. Je ne veux pas d'un ARE. A quoi ça va me servir ? On a déjà un bien lien privilégié avec nos étudiants” ».
Aujourd'hui, la présence des ARE est acceptée par les différents acteurs de l'université quand bien même tous les binômes avec les DE ne fonctionnent pas de la même façon.
Un métier à s'approprier et à articuler avec l'ensemble des services dédiés à l'étudiant
Le périmètre d'action de l'ARE est complexe. C'est une figure qui est à la frontière d'un certain nombre de périmètres d'autres services. En effet, il est autorisé à donner des pré-conseils d'orientation mais il n'est pas conseiller d'orientation. Pour donner un autre exemple, il est formé aux premiers secours en santé mentale mais n'est pas psychologue, ni assistante sociale. Son périmètre se voit parfois restreint. Ainsi, ayant peu de marge de manœuvre, certains se qualifient plutôt comme « informateur » ou « orthopédagogue ». Des ARE expriment une certaine frustration à ne pas se sentir accompagnateur.
De plus, certains services se montraient et continuent de se montrer attentifs à conserver leur périmètre d'action, ce qui peut engendrer des incompréhensions comme le rapporte un ARE :
« Des fois, on nous dit de ne pas faire certaines choses et qu'il faut renvoyer les étudiants vers d'autres gens. Ou alors, on nous dit : “Vous pouvez aider là”, mais quand on se met à chercher un stage avec un étudiant, on nous dit “non”. Pourtant on est avec eux ! [...] Je vois par l'intérêt. Pour moi c'est frustrant mais bon, je m'y suis fait ».
Premier bilan chiffré
Depuis 2022, les ARE rencontrent en moyenne 600 étudiants par an et initient environ 1 300 prises de contact. Ils interviennent auprès des premières années de Licence dans plus de huit cas sur dix. Les étudiants sont principalement rencontrés à la suite d'un questionnaire qui leur est adressé par mail un mois après la rentrée. À l'aide de questions « pivots », les étudiants présentant des difficultés académiques, personnelles, financières ou numériques sont identifiés et recontactés. Ils sont également envoyés par les directeurs d'études ou viennent de leur propre initiative vers les ARE.
Si l'on s'intéresse à présent aux problématiques traitées par les ARE, une analyse des données de leur tableau de bord indique qu'un tiers des demandes concerne tout d'abord la méthodologie du travail universitaire (MTU). Ils accompagnent ainsi les jeunes dans leur apprentissage du « métier d'étudiant » (Coulon, 1997) : compréhension du système universitaire, méthodes d'apprentissage et méthodes de travail, gestion du temps. Mathilde, étudiante en SHS, témoigne :
« Je suis allée voir une ARE, parce que en fait, j'avais pas de manière de travailler, du coup j'étais perdue. Je savais pas comment apprendre donc elle m'a vachement aidée. Elle m'a aidée à faire des cartes mentales. Elle m'a expliqué comment ranger mes cours avec des couleurs et du coup ça m'a beaucoup aidée ».
Lors que les étudiants rencontrent les ARE, une demande sur cinq, porte sur l'orientation ou l'insertion professionnelle. Les ARE donnent régulièrement aux étudiants des pré-conseils en orientation et des informations sur les filières, et notamment sur les passerelles et les réorientations possibles. Anaïs raconte l'aide dont elle a bénéficié auprès de l'ARE de sa filière :
« J'étais allée voir une ARE à la fin d'un cours magistral où elle était intervenue pour nous rappeler qu'elle était là si besoin, et du coup, j'étais allée la voir. Je lui avais dit : “bah c'est difficile car moi” car je voulais pas être ici. [...] Je voulais faire un transfert. [...] Et du coup, on s'était appelé, elle m'a aidée à avoir des coordonnées, etc. [...] Comme j'avais un dilemme, elle m'a bien accompagnée ».
Enfin, l'absentéisme concerne 10% des entretiens tandis que problèmes personnels ou financiers 5% et les questions de santé 5%.
Le traitement de ces problématiques s'est traduit par les préconisations suivantes au cours de l'année 2023-2024 : une redirection vers le service d'orientation et d'insertion professionnelle dans un cas sur trois, une mise en relation avec les scolarités dans un cas sur quatre, un rapprochement avec la sphère enseignante dans un cas sur cinq. Les services de santé et du handicap ont été conseillés au cours de 16% des entretiens et l'assistance sociale indiquée dans 7% des situations.
Le bilan des ARE montre que leurs actions répondent à des besoins chez les étudiants. Leur métier est utile mais s'avère-t-il pour autant déterminant dans la réussite étudiante ? Il est difficile de l'évaluer et parfois les ARE eux-mêmes disent se trouver confrontés à une forme d'impuissance. Ils écoutent, informent, redirigent mais comment savoir si leurs interventions sont décisives ? Cette réflexion amène à considérer que la réussite étudiante n'est pas seulement académique et qu'elle englobe également le vécu étudiant.
Pour finir, le dispositif dépend du financement du projet qui prendra fin en 2028. Quelle sera la suite donnée ? Il ne sera vraisemblablement pas possible de conserver sept postes d'ARE.
[1] Le projet Nouveaux Cursus à l'Université (NCU) Accompagnement, Spécialisation Progressive et Individualisation pour la Réussite de tous les Étudiants (@SPIRE) a été lancé en 2018 et se déploiera jusqu'en 2028. Financé par l'ANR, il est centré sur la réussite des étudiants et sur la prise en compte de la diversité de leurs aspirations et de leurs projets d'études et professionnels. Il s'articule autour des quatre axes suivants : transformation pédagogique du premier cycle universitaire en Approche Par Compétences, réussite étudiante pour un accompagnement et un soutien individualisé des étudiants, mise en place d'outils adaptés et en phase avec l'Approche Par Compétences, évaluation du projet grâce à des indicateurs de réussite pour adapter les dispositifs aux besoins des étudiants.
[2] Bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, personnels sociaux et de santé