Approche de la diversité des publics étudiants dans une université de proximité : le cas de l'Université Savoie Mont Blanc
Azéane Le Guern  1@  , Elodie Kredens  2@  
1 : CRDAF, USMB
Université Savoie Mont Blanc
2 : LLSETI, USMB
Université Savoie Mont-Blanc, Laboratoire LLSETI

Contexte et cadrage théorique

Depuis 1960, la population étudiante a été multipliée par 8 (MESRI, 2013). Cette expansion démographique s'est accompagnée d'une diversification des profils d'étudiants (Annoot et al., 2019) et d'une démultiplication des entrées dans l'enseignement supérieur (Merle, 2002). Ainsi, on assiste à la fois à une massification et une démocratisation ségrégative (ibid) de l'accès aux études universitaires avec la promotion sociale de nombre d'enfants des classes populaires (Beaud et Millet, 2022). De leur côté, Cayouette Remblière et Doray (2022) notent que l'université connait une diversification croissante qu'ils qualifient de fragmentation.

Pourtant, malgré un accès conséquent à l'enseignement supérieur, une distinction reste à faire entre diffusion, réelle démocratisation d'accès (Merle, 2002) et réussite avec l'obtention d'un diplôme.

Dans de nombreuses recherches sur les inégalités de parcours des étudiants, une place prépondérante est accordée aux caractéristiques individuelles (De Ketele, 1990 ; Duru-Bellat, 1995 ; Lambert-Le Mener, 2012 ; Morlaix et Suchaut, 2012 ; Romainville et Michaut, 2012). Avec les données recueillies sur les étudiants au moment de leur inscription, une première ébauche est facilement réalisable : provenance géographique, lycée d'origine, type de baccalauréat et mention obtenue, professions des parents, statut lié à l'obtention et niveau de bourses.

Pourtant la diversité étudiante ne saurait être appréhendée uniquement au regard de caractéristiques socio-démographiques. Il s'avère que d'autres facteurs ont un impact sur la réussite étudiante : la distance entre le lieu de vie et d'études, la nécessité de travailler ou non pour financer sa formation (Pinto, 2010 ; Millet, 2003). D'autres aspects plus subjectifs peuvent également entrer en ligne de compte, comme l'expérience étudiante (Dubet, 1994), le sentiment d'affiliation (Coulon, 1997), la manière dont les étudiants se sentent informés (Fontanini, 2016), le rapport aux enseignements et aux enseignants (Perrenoud, 2015). Ces éléments demandent à être explorés et considérés comme des facteurs pertinents de différenciation au sein de la population étudiante.

Diversité étudiante à l'USMB : quelle méthodologie pour l'appréhender ?

L'USMB est une université de proximité[1]. Établissement de taille moyenne, elle compte près de 15 000 étudiants, dont 97% des néo-bacheliers inscrits à l'USMB proviennent de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Elle se compose de trois campus accueillant environ 5 000 étudiants chacun.

Afin de déterminer le plus précisément possible les publics étudiants, l'USMB effectue depuis 2020 plusieurs enquêtes auprès de tous les étudiants de licence dans le cadre du projet NCU @SPIRE[2]. L'objectif est d'appréhender la diversité des publics à l'université et d'améliorer la réussite des étudiants en effectuant un état des lieux de leur « condition étudiante » (Felouzis, 2001) et de leurs difficultés, autant sur les aspects pédagogiques et sociaux que sur leur intégration dans le milieu universitaire. Les résultats de ces enquêtes sont pris en compte pour adapter les dispositifs d'aide à la réussite.

Chaque année l'USMB réalise des enquêtes en Licence 1, Licence 2 et Licence 3. Toutefois, nous nous focaliserons sur les étudiants de Licence 1 car ils sont plus de 80% à être néo-bacheliers en 2023-2024, manifestent le plus de difficultés et ont davantage recours aux Accompagnateurs à la Réussite Étudiante (ARE).

L'Observatoire de la Vie Etudiante de l'USMB, réalise une enquête quantitative par questionnaire dite « Premières semaines à l'université » auprès de tous les étudiants de première année, un mois après la rentrée de septembre. Le questionnaire comporte quarante questions regroupant les thématiques suivantes : la situation actuelle, le rapport au numérique, le rapport au temps, la situation financière, les problèmes de santé, les conditions de vie, l'entrée à l'université, l'appropriation de l'environnement universitaire, la pédagogie, le choix d'orientation dans la formation actuelle.

Parallèlement, une étude longitudinale d'une trentaine d'étudiants permet de réaliser un suivi qualitatif. L'objectif de ces entretiens est d'interroger de manière plus large la vie étudiante et d'analyser les cheminements des étudiants. Ceux-ci sont issus des filières AES, Droit, Sociologie et STAPS. Ces formations ont été les premières à passer à l'approche par compétences (APC) dans le cadre du projet @SPIRE. De plus, le recrutement social et les profils sociologiques des étudiants de ces filières diffèrent (Grignon et Gruel, 1999 ; Felouzis, 2001 ; Romainville et Michaut, 2012).

Quelques résultats pour l'ébauche d'un portrait de la diversité étudiante à l'USMB

Le passage du lycée à l'enseignement supérieur constitue un changement jugé perturbant pour un tiers des répondants, bien que l'enquête montre que 84% des étudiants se sentent intégrés dans leur filière. Les raisons des difficultés d'appropriation du « métier d'étudiant » (Coulon, 1997) sont diverses : difficultés d'organisation, d'adaptation, sentiment d'être perdu sur le campus, de ne pas être suffisamment encadré, etc.

A partir des thématiques présentes dans le questionnaire et des entretiens semi-directifs, nous avons choisi de présenter quatre traits majeurs des publics étudiants de notre université en lien avec leur temps de trajet pour se rendre à l'université, leurs problèmes de santé et/ou handicap, leur bien-être et leur santé mentale ainsi que le choix de leur orientation dans leur filière actuelle.

Etudier les conditions de vie et d'études en dehors du temps de l'université permet de s'intéresser à la diversité des situations en lien avec la problématique du logement. À l'USMB, en 2023-2024, 35% n'habitent pas à proximité du campus et doivent composer avec un temps de trajet domicile-université important. Certains étudiants font des trajets quotidiens allant d'une heure voire de deux heures pour un trajet aller. Ce constat est caractéristique de l'université de proximité proposant un accès à l'enseignement supérieur pour les étudiants locaux, les moins mobiles à partir vers des métropoles plus conséquentes (Kamanzi et al., 2017 ; Trémoureux, 2022). Les universités de proximité permettent ainsi d'entrer dans un établissement proche du lieu de résidence, ce qui favorise la poursuite d'étude (Felouzis, 2001 ; Bernet, 2009 ; Trémoureux, 2022). Cependant l'éloignement des campus et le temps de transport journalier pour se rendre à l'université sont à prendre en compte car cela peut générer des difficultés sur le quotidien des étudiants. Au cours d'un entretien, Héloïse, une jeune femme habitant Annecy qui étudie en SHS sur le campus de Jacob-Bellecombette, témoigne de cette situation :

« Je me levais à 05h du matin, je rentrais il était 19h, pour me recoucher à 23h et me relever à 05h. [...] Je me suis dit : "tu cherches un appartement sur Chambéry” parce qu'en redoublant, je voulais pas faire les mêmes erreurs que l'année dernière, refaire les mêmes allers-retours et tout ça [..] ça a beaucoup joué parce que j'étais vraiment fatiguée ».

La diversité étudiante peut également s'appréhender sous le prisme des questions de santé et du handicap. D'ordinaire c'est à l'étudiant de faire des démarches pour bénéficier d'aménagements. La réflexion sur le « non-recours » des usagers pour certains dispositifs (Warin, 2017) a permis d'intégrer des questions sur la santé et le handicap dans le questionnaire. L'objectif n'est pas de déterminer le pourcentage d'étudiants se déclarant en situation de handicap, mais d'identifier ceux qui peuvent prétendre à des aménagements afin de les informer des démarches à suivre. Les services de santé et du handicap, uniques destinataires de ces réponses, constatent que les demandes d'aménagements sont plus précoces et nombreuses depuis l'existence de l'enquête. Cela permet aux étudiants d'en bénéficier dès les premières évaluations.

Les perceptions et ressentis des étudiants peuvent être des indicateurs pertinents d'appréciation de la variété des vécus à l'arrivée dans une filière et donc de la réussite (Dupont, De Clercq et Galand, 2015). Le questionnaire leur demande ainsi d'évaluer comment ils se sentent dans leur formation sur une échelle allant de 0 à 10. Sont pris en compte les relations avec les enseignants et les étudiants, les matières enseignées ou encore le rythme des cours. Il ne s'agit pas d'établir un diagnostic du bien-être des étudiants mais plutôt de déterminer si des décalages sont intervenus entre leurs prénotions sur la filière choisie et leur expérience au sein de celle-ci. Certains étudiants se trouvent dans un « parcours de rupture » (Millet et Thin, 2012 ; Hugrée et Poullaouec, 2022), en décalage avec ce qu'ils avaient projeté, ce qui remet possiblement en question leur maintien au sein de leur formation initiale. Pour l'année 2023-2024, les étudiants de l'USMB se situent globalement à 7,1/10. Cette moyenne importe moins que de repérer les étudiants ayant choisi de se situer entre 0 et 4. Considérés en difficulté ceux-ci sont alors[3] par les ARE afin de les rencontrer et de leur proposer un accompagnement.

Dans une perspective similaire, il est ouvertement demandé aux étudiants s'ils ont des doutes à poursuivre dans leur formation actuelle. Ceux qui répondent par l'affirmative sont alors contactés par un ARE pour faire un bilan, et selon les cas, pour envisager une réorientation ou une candidature pour le DU « Mon Nouveau Projet » leur permettant de repenser leur trajectoire post-baccalauréat.

Bilan et discussion

Appréhender la diversité des étudiants constitue un enjeu important, notamment avec la possibilité de dépasser les représentations que se fait l'institution de ses usagers. En agissant avec une image des étudiants correspondant à la réalité du terrain, les dispositifs d'accompagnement à la réussite peuvent être réadaptés. En effet, la connaissance de la diversité des étudiants ne doit pas servir seulement à dresser un état des lieux, mais aider l'université à faire correspondre ses actions aux besoins de étudiants que ce soit sur le plan pédagogique ou sur le plan organisationnel avec les services internes.

Toutes les enquêtes annuelles en licence donnent lieu à la création de tableaux de bord pour les responsables de licence et les directeurs ou directrices des études (DE) où sont compilées les informations essentielles sur les différentes promotions d'étudiants. Du côté des ARE, les enquêtes permettent de contacter directement des étudiants à l'aide de questions « pivots » permettant d'identifier les difficultés (académiques, personnelles, financières, numériques etc.).

Des angles morts restent toutefois à lever. Bien que le taux de réponse soit de 62% pour l'enquête de septembre 2023, la question de la non-participation de certains étudiants pose question et pourrait infléchir les résultats si elle se transformait en participation. De plus, la production de résultats d'enquêtes ne présume pas de facto l'usage qu'en feront les formations et la manière dont les équipes pédagogiques s'en saisiront.

Pour conclure, comme beaucoup d'universités françaises, l'USMB est confrontée à l'augmentation de ses effectifs et à la diversification de ses publics. Bien que ses taux de réussite soient légèrement supérieurs à la moyenne nationale[4], ses taux d'échec et d'abandon restent élevés. La connaissance des publics étudiants et de leur diversité permet de penser un accompagnement modulable vers la réussite. Elle permet de considérer que l'université n'est pas nécessairement dans une dynamique de « crise » (Bodin et Orange, 2013) mais se trouve en réalité en recomposition permanente (Charle et. Verger, 2012 ; Goastellec, 2020 ; Cayouette-Remblière et Doray, 2022).


[1] « Les "universités de proximité" dites aussi "universités territoriales", "sites universitaires de ville moyenne" (SUVM) et parfois "pôles d'enseignement supérieur de proximité" (PESP) sont des petites antennes de grandes universités ou des universités-mères. Elles ont en commun d'accueillir entre 300 et 15.000 étudiants et d'être des piliers de l'animation sociale et économique des territoires situés hors métropoles ».

https://www.banquedesterritoires.fr/quel-devenir-pour-les-universites-de-proximite-pour-leurs-etudiants-et-pour-leurs-territoires

[2] Le projet Nouveaux Cursus à l'Université (NCU) Accompagnement, Spécialisation Progressive et Individualisation pour la Réussite de tous les Étudiants (@SPIRE) a été lancé en 2018 et se déploiera jusqu'en 2028. Financé par l'ANR, il est centré sur la réussite des étudiants et sur la prise en compte de la diversité de leurs aspirations et de leurs projets d'études et professionnels. Il s'articule autour des quatre axes suivants : transformation pédagogique du premier cycle universitaire en Approche Par Compétences, réussite étudiante pour un accompagnement et un soutien individualisé des étudiants, mise en place d'outils adaptés et en phase avec l'Approche Par Compétences, évaluation du projet grâce à des indicateurs de réussite pour adapter les dispositifs aux besoins des étudiants.

[3] Afin de respecter le règlement du RGPD, les étudiants recontactés ont donné préalablement leur accord à la fin du questionnaire.

[4] En 2019-2020, le taux de réussite en 3 ans de la licence est de 42% à l'USMB et de 36% au niveau national. En 2021-2022, le taux de passage en L2 est de 53% à l'USMB et 44% au niveau national. En 2021-2022 le taux de passage en L2 STAPS est de 73% à l'USMB contre 43% au niveau national.


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