Cette étude s'inscrit dans le prolongement d'une thèse de doctorat portant sur l'orientation, socialisation et insertion professionnelles des étudiant.e.s et diplômé.e.s architectes à l'ENSA Nantes (Horsch, 2021). Si celle-ci portait sur les sortant.e.s de l'école de 2011 à 2014, cette nouvelle enquête, menée auprès des diplômé.e.s de 2015 à 2018, propose une analyse des parcours, de l'accès aux études jusqu'à l'insertion professionnelle, à l'aulne de leurs origines sociales. En effet, le mode de recrutement des écoles d'architecture favorise l'admission d'étudiant.e.s issu.e.s majoritairement des classes socioprofessionnelles moyennes et supérieures que l'ensemble des capitaux (culturel, économique et social) semble avantager par rapport à la minorité d'étudiant.e.s issus des classes défavorisées admis. En effet, le taux d'étudiant.e.s inscrit.e.s à l'ENSA Nantes en 2016, dont le père appartient aux professions et classes socioprofessionnelles supérieures est de trente points au-dessus de la moyenne nationale (Horsch, 2021, p. 148).
Au vu de ces chiffres, comment les personnes issues des classes populaires qui souhaitent devenir architecte parviennent-elles à intégrer ces établissements ? Que peuvent les écoles d'architecture elles-mêmes à la reproduction de ces inégalités qui se jouent à l'admission à l'école ? Une fois que ces étudiant.e.s ont réussi à intégrer l'école, quelles sont les stratégies qu'ils et elles mettent en œuvre pour réussir ? Quels leviers existent pour l'institution, celles et ceux qui y enseignent et celles et ceux qui y étudient pour contrer ces inégalités ? Afin d'envisager des pistes de compréhension de ce qui se joue avant, pendant et après les études en matière de reproduction ou de distinction, nous nous sommes intéressées à la figure du « transfuge », comme piste d'exploration de ce que les individus et l'institution « peuvent » pour contrer le déterminisme, ou quand les déterminismes/inégalités ne se rejouent pas. Par « transfuge », nous entendons les diplômé.e.s dont les deux parents sont issus des classes défavorisées et qui perçoivent leur insertion comme « facile » ou « assez facile ».
Notre méthodologie se fonde sur l'analyse de 122 entretiens semi-directifs de diplômé.e.s des promotions de 2015 à 2018, effectués en mars 2021 dans le cadre de l'enseignement « Les mondes de l'architecture »[1]. Certains enquêté.e.s sont alors diplômé.e.s depuis trois ans, d'autres depuis six ans. Un questionnaire quantitatif portant sur les origines géographique, scolaire et sociale ainsi que la trajectoire d'insertion complète l'enquête.
Il ressort de l'analyse des trajectoires scolaires que ces transfuges arrivent à compenser leurs décalages socio-culturels en multipliant les expériences professionnelles pendant leurs études et grâce à la cooptation d'enseignant.e.s. Enfin, si les transfuges réussissent leur insertion professionnelle à court terme, ils et elles se trouvent néanmoins dans une posture de reproduction de l'exercice canonique de l'architecte sous forme de salariat, endossant peu de responsabilités.
[1] Dispensé en licence 3, cet enseignement co-coordonné par Bettina Horsch et Pauline Ouvrard propose à l'ensemble de la promotion d'étudiants de saisir les places occupées et les pratiques exercées par les architectes à travers une enquête collective sur les trajectoires d'architectes.