- 1. Introduction
La massification de l'enseignement supérieur des années 2000 s'est accompagnée d'une émergence du thème de l'échec en licence. À la suite de la Loi LRU (2007), le plan « Réussite en Licence » n'a pas produit les effets espérés, bien au contraire : le taux de réussite dans ce cycle a diminué (Morlaix et Perret, 2013). La lutte contre l'échec scolaire s'est accompagnée par les injonctions politiques diffusées dans les rapports publics français et européens comme l'amélioration du taux d'insertion en licence et en master et le développement de l'employabilité des étudiants.
La professionnalisation englobant les notions de l'employabilité et les compétences est donc une piste de solution mise en avant, entendue notamment comme expérience directe dans l'environnement professionnel dans l'optique de l'insertion professionnelle. La Loi LRU (2007), donne aussi aux universités une nouvelle mission : l'aide à l'insertion professionnelle des étudiant.e.s. À la suite de quoi les dispositifs spécifiques ne cessent de se multiplier au sein des établissements universitaires : modules de Projet Professionnel, stages obligatoires, création de bureaux d'aide à l'insertion professionnelle, etc. (Rose, 2014). Afin d'assumer sa nouvelle mission, les dispositifs d'accompagnement à l'orientation et à la préparation de l'entrée sur le marché du travail ont été inclus au sein de chaque cursus universitaire. Ces dispositifs de professionnalisation n'ont pas seulement des visées pour l'insertion professionnel des sortants du supérieur, mais aussi ils facilitent l'intégration immédiate des étudiantes et des étudiants du premier cycle au sein de marché du travail en cours de leurs études. Les stages et l'apprentissage ont pris une importance nouvelle, de même que le travail salarié parallèle aux études : selon l'Observatoire de la vie étudiante (OVE, 2022), « 40% des étudiants travaillent pendant l'année universitaire (hors vacances d'été) » et « seulement 8% des activités rémunérées sont dans le cadre des études ». Dans un contexte de diffusion du souci de l'insertion professionnelle, le fait d'avoir une double carrière, scolaire et professionnelle, est devenu donc presque ordinaire pour les étudiants et étudiantes du premier cycle en France.
Dans un travail sur les dispositifs de professionnalisation (Lemistre et Ménard, 2018), l'accès inégale à ces dispositifs, la répartition différenciée de l'utilité et des effets sur l'insertion professionnelle ont été documentés en fonction de filières d'inscription et des propriétés sociales des étudiantes et des étudiants. Même si ce travail avance l'hypothèse selon laquelle que le fait d'avoir un emploi en cours d'études pourrait proc « procéder d'une professionnalisation qui se substitue alors à l'utilité des dispositifs » (p.11), il reste néanmoins à mieux expliciter la position spécifique des étudiant.e.s ayant un emploi face à ces dispositifs et à explorer les manières dont ces étudiant.e.s perçoivent ces dispositifs.
Cette communication proposera de mettre en question les dispositifs d'accompagnement à l'insertion et à l'orientation professionnelle de l'université avec les perspectives des étudiantes et des étudiants ayant un emploi en cours d'études. Tel que cela a été présenté en introduction, il nous semble que l'université favorise institutionnellement le cumul emploi-études par le biais de ces dispositifs de professionnalisation. Les perspectives de la population étudiante salariée nous offrent donc un terrain privilégie afin d'ouvrir les nouvelles pistes de réflexion sur ces dispositifs. Comment ces étudiantes et étudiants évaluent l'utilité de ces dispositifs de professionnalisation dans leur parcours scolaire et professionnel ? Quels sont les effets (négatifs ou positifs) de ces dispositifs de professionnalisation dans les enjeux de conciliation études/travail ? Ces dispositifs de professionnalisation en favorisant une réussite dans le plan professionnel provoquent-ils des échecs dans le plan scolaire ?
1.1. Méthodes, terrain et résultats : Les dispositifs de professionnalisation de l'Université Paris Cité en question : les perspectives des étudiant.e.s ayant un emploi en cours d'études
Afin de répondre aux questions présentées à la fin de l'introduction, l'enquête par entretien semi-directif nous paraît la méthode la plus adéquate afin de mieux appréhender les perceptions, les opinions et les expériences des personnes interrogé.e.s à propos des dispositifs de professionnalisation. L'ensemble de nos hypothèses ont pour but de comprendre les différentes façons dont les étudiant.e.s salarié.e.s se positionnent par rapport à différentes injonctions de professionnalisation par le biais de ces dispositifs. En complément du travail quantitatif déjà cité (Lemistre et Ménard, 2018), la démarche qualitative par l'entretien semi-directif nous donnera une possibilité de mieux saisir les effets d'avoir un emploi en cours d'études sur le rapport de ces étudiant.e.s aux dispositifs de professionnalisation de l'université.
À ce titre, nous allons mettre en question les dispositifs d'accompagnement à l'orientation et à l'insertion de l'Université Paris Cité avec les perspectives des étudiants et des étudiantes ayant un travail salarié à côté de leurs études en licence. Notre analyse s'appuiera sur nos données issues de 23 entretiens semi-directifs. Ces entretiens ont été conduits auprès d'étudiants et d'étudiantes, ayant un emploi non lié directement à leurs études, inscrits en 11 différentes disciplines à l'Université Paris Cité[1].
Tout d'abord, nous allons présenter brièvement les dispositifs spécifiques d'insertion professionnelle de l'Université Paris Cité, particulièrement le Pôle de l'Orientation et de la Professionnalisation et ses diverses activités, le dispositif de stage et les modules de professionnalisation comme Projet personnel et professionnel ou l'UE Engagement, afin de les discuter avec les points de vue des étudiantes et des étudiants interrogés par la suite. Même si l'étude de Lemistre et Ménard (2018) souligne que toutes les filières confondues l'utilité de ces dispositifs n'est pas remise en question par les bénéficiaires de ces dispositifs, nous avons constaté une diversité de prises de positions face aux activités du Pôle de l'Orientation et de la Professionnalisation. À ce stade, nous allons montrer principalement le positionnement spécifique des étudiantes et des étudiants ayant un emploi en cours d'études à l'égard de dispositifs de professionnalisation de l'université, notamment en raison de leur emploi du temps surchargé. Quant au dispositif du stage, l'utilité de stage a été confirmé par la majorité de nos enquêtés. Pourtant nous avons constaté que la question du stage pourrait prendre des sens bien différents lorsque l'étudiant ou l'étudiante travaille déjà à côté de ses études. Enfin, pour les modules de professionnalisions, nous allons montrer que la majorité des étudiant.e.s interrogé.e.s voit un intérêt particulier dans ces cours, soit en les critiquant, soit en intériorisant les visions proposées. À cet egard, ce qui nous semble intéressant, c'est que les critiques formulées face aux contenus et/ou modalités de ces cours de professionnalisation deviennent plus radicales quand ces critiques ont été formulées par les étudiant.e.s des sciences humaines et sociales, notamment par ceux/celles en sociologie.
1.1.1. Conclusion et discussion
Notre étude, d'un côté, va nous permet de définir la position spécifique des étudiants et des étudiantes ayant une activité rémunérée en cours d'études à l'égard des dispositifs de professionnalisation de l'université et les rôles (ou l'absence de rôle) de ces dispositifs dans les enjeux de conciliation études/travail. Et de l'autre, nous allons pouvoir questionner la puissance de ces dispositifs d'imposer aux étudiants et étudiantes d'une vision individualiste et responsabilisante des parcours professionnels dans l'optique d'améliorer le taux de l'insertion professionnelle et l'employabilité des étudiants et des étudiantes. En nous appuyant sur notre enquête de terrain, nous arrivons à l'idée que les dispositifs de professionnalisation à l'université ne semblent pas être bien adaptés à la position spécifique des étudiantes et des étudiants ayant un emploi en cours d'études. À cet égard, nous défendrons l'hypothèse selon laquelle les injonctions politiques à la professionnalisation accompagnant la multiplication des dispositifs d'accompagnement à l'insertion professionnelle favorisent la diffusion d'une telle vision au sein des établissements universitaires au risque d'une précarisation de la vie étudiante relative aux difficultés de concilier études/travail.
Pour conclure, vu que les enjeux de conciliation études/travail prend des sens bien différents suivant les contextes et les propriétés sociales des acteurs, du fait des segmentations du marché du travail comme de l'enseignement supérieur, la communication proposera d'ouvrir une discussion en resituant l'Université Paris Cité dans un contexte plus large à partir de l'ouverture d'autres terrains en nous appuyant sur nos premières données de l'enquête dans le cadre de notre thèse en cours[2].
[1] L'enquête de recherche menée pendant l'année académique 2021-2022 dans le cadre d'un mémoire intitulé : « Les étudiant.e.s salarié.e.s dans le contexte de la professionnalisation de l'université française : le cas de l'Université Paris Cité » mémoire de master 2 Études politiques à l'EHESS, soutenu en juin 2023 par Bora BAYRAK, devant le jury qui a été composé par Hugo Harari-Kermadec et Marc Aymes.
[2] Thèse en cours, sous la direction de Hugo Harari-Kermadec, intitulée « Conciliation études/travail : atout pour l'insertion professionnelle ou mise en danger des études et de la santé ? » à l'Université d'Orléans, ÉRCAÉ (L'Équipe de Recherche Contextes et Acteurs de l'Éducation). La thèse traite les enjeux de conciliation études/travail sur quatre terrains choisis pour leurs potentiels contrastes. En s'appuyant sur les travaux quantitatifs récents d'Avouac et Harari-Kermadec (2022), qui nous offre une visualisation de l'espace universitaire selon les capitaux détenus par les populations étudiantes, quatre universités ont été choisi pour cette étude: l'Université Paris Cité ; l'Université Sorbonne Paris Nord ; l'Université d'Orléans ; l'Université de Tours.
Références:
Avouac, R. et Harari-Kermadec, H. (2022). L'université française, lieu de brassage ou de ségrégation sociale ? Mesure de la polarisation du système universitaire français (2007‑2015). Économie et Statistique, (528-529), 63-84.
Morlaix, S., et Perret, C. (2013). L'évaluation du Plan Réussite en Licence: quelles actions pour quels effets? Analyse sur les résultats des étudiants en première année universitaire. Recherches en éducation, 15, 137-150. DOI: https://doi.org/10.4000/ree.7390
Rose, J. (2014) Mission insertion : un défi pour les universités. Rennes : Presses universitaires de Rennes.
Lemistre, P. et Ménard B. (2018), Dispositifs de professionnalisation à l'université : quels effets à l'insertion, et pour quel.le.s étudiant.e.s ?, L'orientation scolaire et professionnelle, 47(2). 1-21. DOI: https://doi.org/10.4000/osp.5990
Ferry, O. et Patros, T. (2022), Conditions de vie des étudiants 2020 - L'activité rémunérée, Observatoire nationale de la vie étudiante (OVE).