Comment comprendre que ce qui nous paraît évident en termes de travail universitaire peut ne pas l'être du tout pour nos étudiant.e.s ? Peut-on accompagner différemment les étudiant.e.s en Lettres Langues Sciences Humaines et Sociales en ayant une vision plus objective de leurs pratiques de lecture ? Comment aller au-delà de la frustration et tenter d'analyser des situations d'enseignement où l'on a l'impression que règne le malentendu ? Ces trois questions (parmi d'autres) ont traversé ma pratique d'accompagnatrice pédagogique et d'enseignante en sociologie ces dernières années.
Conseillère pédagogique au sein du service d'appui à la pédagogie de l'Université Sorbonne Nouvelle (et chargée de cours en sociologie dans le même établissement), je propose aux enseignant.e.s, depuis 2022-2023, deux formations visant à mieux faire connaître le public étudiant en LLSHS et sa diversité.
Ces formations (2x3h) ont été l'occasion d'interroger la façon dont peut être utilisée une connaissance sociologique du monde universitaire à des fins réflexives et pratiques. La première, “Connaître les pratiques de travail et de lecture des étudiant.e.s pour mieux les accompagner”, est construite à partir de mon travail de doctorat sur l'expérience de socialisation étudiante et lectorale des étudiant.e.s de classe préparatoire littéraire (Maridet, 2016) ; elle s'attache à considérer l'appréhension de la lecture de travail universitaire comme une étape dans la carrière de lecteur et d'élève, en intégrant la notion de matrice disciplinaire (Lahire, 1998 ; Millet, 2003). La seconde formation, “Université, inégalités sociales, inégalités d'apprentissage et pratiques pédagogiques » interroge, elle, la façon dont les pratiques pédagogiques (exposé magistral comme activités de pédagogie active) font appel à des dispositions socialement différenciées (Bonnéry, 2009). En questionnant notamment les attendus en termes d'autonomie ou de rapport à l'écrit et à la prise de notes, cet atelier permettait d'interroger les pratiques concrètes d'enseignement des participant.e.s à l'aune du concept de malentendu socio-cognitif (Bautier, Rochex, 2007). Chaque formation mêlait apports théoriques (origine sociale des étudiant.e.s, socialisation lectorale, malentendu socio-cognitif, par ex.), retours réflexifs (qui étais-je comme étudiant.e, et comment perçois-je mes étudiant.e.s aujourd'hui ? quels choix fais-je en rapport avec ces représentations ?) et réflexion sur sa pratique (sachant tout cela, comment faire différemment ?).
Cette proposition de communication vise à présenter puis éclairer ce dispositif de formation en insistant sur l'importance de l'auto-socio-analyse comme catalyseur d'un lien entre ses propres expériences de socialisation scolaire et universitaire et sa pratique enseignante, elle-même structurée par des contextes et des contraintes particulières, et les apports de sociologie de l'éducation. Cette démarche s'inscrit ainsi dans une perspective d'appui au développement professionnel des enseignant.e.s-chercheur.e.s en leur permettant de questionner leur pratique tout en mobilisant des cadres théoriques (et donc d'entrer dans une démarche de Scholarship of Teaching and Learning). On verra donc ici comment la sociologie, domaine plus rarement mobilisé que d'autres en pédagogie universitaire, peut y contribuer, mais aussi comment les formations en pédagogie universitaire peuvent être le lieu pour faire comprendre les mécanismes de reproduction scolaire et sociale, et de faire de cette compréhension un levier pour la transformation des pratiques, ou, a minima, pour interroger “ce qui va de soi”.