À l'instar de plusieurs pays occidentaux, en France, les établissements d'enseignement connaissent depuis une dizaine d'années une augmentation importante des apprenants en situation de handicap (SH). Plusieurs de ces apprenants rencontrent des défis reliés à l'apprentissage ou à l'intégration scolaire et sociale. Ils ont notamment besoin de soutien individualisé et d'accompagnement sur le plan méthodologique et disciplinaire (Philion et al., 2016).
L'École d'ingénieurs française CentraleSupélec déploie un programme de tutorat (Husson et Moyon, 2022) ayant une double visée : d'une part, offrir un soutien à des apprenants en SH (collégiens, lycéens, étudiants) visant à développer leurs compétences intellectuelles et leur projet d'étude en adéquation avec leurs intérêts et motivations; d'autre part, permettre aux élèves-ingénieurs de se familiariser avec des enjeux d'inclusion tout en développant leur capacité d'adaptation en assumant un rôle de tuteur auprès d'apprenants en SH.
Étant donné le caractère novateur de ce projet, nous avons été amenés à appréhender l'expérience de ces élèves-ingénieurs engagés dans une action de tutorat auprès d'apprenants en SH et nous avons conduit une recherche exploratoire portant sur les apprentissages réalisés par les tuteurs (Husson et al., 2024).
Nous avons effectué une analyse qualitative et inductive de contenu (Mukamurera et al., 2006) à partir des journaux d'expériences anonymisés consignés par 12 tuteurs ayant accepté de documenter chacune des séances hebdomadaires offertes (moyenne de 15 séances par tuteur). Le journal d'expériences est composé de trois parties. Une première partie renseigne sur « D'où je pars en quelques lignes », la deuxième partie est un carnet de bord constitué des notes de suivi consignées après chacune des séances, enfin, dans la troisième il fait un bilan de son expérience de tuteur.
L'analyse des journaux met en évidence que, malgré le peu d'expériences et de connaissances préalables sur les comportements à adopter en relation avec des apprenants en SH, les 12 tuteurs se sont beaucoup engagés auprès de leur tutoré et es ont soutenus dans leurs apprentissages.
En outre, il appert que les étudiants-tuteurs effectuent de multiples apprentissages. Sur le plan pédagogique, ils ont su s'adapter à leur tutoré en tenant compte de leurs caractéristiques et besoins individuels. Sur le plan personnel, ils soulignent tous avoir modifié leur rapport au handicap. Enfin, sur le plan professionnel, les 12 tuteurs se projettent en tant que professionnel inclusif, soulignant que leur expérience influencera dans leur futur emploi leur engagement à l'égard de l'inclusion des personnes en SH et plus largement à la diversité et l'altérité.
Les résultats montrent l'adéquation des apprentissages de ces tuteurs avec les objectifs visés pour les élèves-ingénieurs engagés dans le tutorat. Cependant, des défis rencontrés par les tuteurs sont également soulignés, notamment lorsque les compétences ou connaissances à mobiliser entraînent un investissement trop important de la part des tuteurs, ainsi que les limites du tutorat lorsqu'il est offert en distanciel. Ces défis soulignent l'importance à accorder à la congruence cognitive (Baudrit, 2003): les tuteurs devant pouvoir établir une certaine proximité avec le tutoré et être suffisamment à l'aise avec le sujet enseigné pour ne pas être surchargé.