L'accompagnement à la réussite des étudiant.es en première année à l'université sous le prisme de la loi ORE : focale sur la direction des études et les dispositifs de remédiation
Manon Hoareau  1@  
1 : Centre de Recherche sur l'Education, les apprentissages et la didactique
Université de Brest, Université de Rennes 2, Institut Brestois des Sciences de l'Homme et de la Société, Université de Rennes 2 : EA3875

Présentation

1. Introduction et problématisation

Pays scolaro-centré, la France positionne son système éducatif comme un élément fondamental dans la maîtrise des destins sociaux puisqu'il s'impose comme vecteur principal de la position socio-professionnelle d'un individu. Celle-ci se traduit par la distribution des diplômes et du niveau de qualification qui trouve la légitimité de son fonctionnement dans la méritocratie (Duru-Bellat et Tenret, 2009). Ce système situe alors la question de la réussite comme un enjeu primordial dans laquelle l'élève endosse la responsabilité de son avenir dans une institution de « démocratisation ségrégative » (Merle, 2000, p.24) qui vient infléchir des inégalités de réussite scolaire. L'enseignement supérieur et particulièrement l'université, ne sont pas exempts de ces inégalités de réussite. En effet, le chef d'accusation porté par l'ancienne ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, stipule d'un échec massif en première année universitaire avec un taux qui s'élève à 60 %. En réaction à ce phénomène, de nombreuses lois et réformes ont été promulguées afin de favoriser la réussite à l'université : tel est le cas de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) du 8 mars 2018. Nous interrogerons ici le volet Réussite de cette loi en questionnant l'accompagnement à la réussite par l'instauration de parcours personnalisés qui se matérialisent par l'option « oui si » et ses déclinaisons, regroupées sous l'appellation « dispositifs de remédiation ».

Cette loi modifie le paysage universitaire par une montée en puissance des dispositifs (Barrère, 2013) au travers du nouveau traitement institutionnel local des demandes d'inscriptions (Bodin et Orange, 2019). De façon inédite, la loi ORE octroie un grand pouvoir aux établissements universitaires dans la gestion des flux entrants (Dizambourg, 2018). Cette nouvelle gestion conditionne toujours plus fortement l'avenir socio-scolaire des néo-bacheliers puisqu'elle se concrétise en amont par le ciblage du potentiel échec des bacheliers dans l'enseignement supérieur grâce à l'outil « oui-si ». Celui-ci représente la nouvelle proposition de réponse laissée aux universités sur Parcoursup qui indique au candidat son acceptation dans la formation sous condition d'un suivi dans les dispositifs de remédiation. En parallèle, la loi ORE introduit une forme de « sélection » à l'entrée de l'enseignement supérieur puisqu'elle demande aux formations postbac de classer les candidats en fonction des attendus nationaux et locaux, lesquels sont réifiés dans un paramétrage complexe de l'outil d'aide à la décision. Dans cette même perspective de « gestion prédictive et préventive des bacheliers » (Bodin et Orange, 2019, p. 217), l'arrêté du 30 juillet 2018 - relatif au diplôme national de licence - déclare que la réalisation des objectifs de la loi ORE nécessite la mise en œuvre de deux grands dispositifs nationaux : une direction des études et un accompagnement personnalisé par des dispositifs de remédiation (MESRI, 2021). Respectivement, le premier désigne un ou plusieurs enseignant.es-chercheur.es en charge de la personnalisation et de l'individualisation des parcours étudiants. Quant au second, il renvoie à l'accompagnement à la réussite des étudiant.es par l'acculturation cognitive, culturelle et sociale dont le pilotage est généralement pris en charge par la direction des études. Or, la mise en œuvre de ces dispositifs induit ipso facto des différences inter-établissements (Frouillou et al., 2020) mais aussi des différences infra-établissements (Geuring et Masy, 2022) en raison de son application locale. A titre d'exemple, l'article 5 de ce même arrêté déclare clairement que « Les modalités de désignation des directeurs d'études comme la définition de leur périmètre d'action sont définies par les établissements ».

C'est pourquoi, il est intéressant de s'interroger sur cet accompagnement à la réussite par ces deux dispositifs en se concentrant uniquement sur une université afin de considérer les possibles différences infra-établissements. De fait, il en découle un questionnement sous-jacent puisque la loi ORE implique d'interroger le déploiement de la direction des études et des dispositifs de remédiation à savoir quelles mises en œuvre effectives. En ce sens, la présente communication propose de questionner la manière dont la réussite étudiante en première année est organisée (et donc pensée) au sein d'une université de province au regard des diverses déclinaisons locales que donne à voir une même politique éducative nationale.

La principale hypothèse de cette enquête repose sur la mise en œuvre très locale de ces deux dispositifs à l'échelle des départements. Cette gestion refléterait alors un système universitaire décentralisé qui favoriserait une appropriation locale des réformes, renforçant alors le constat d'une territorialisation des politiques éducatives (Derouet et Dutercq, 1997). Plus encore, l'accompagnement à la réussite, sous le prime des dispositifs, donnerait lieu à des différences infra-établissements qui s'exprimeraient notamment dans le recrutement des étudiant.es en remédiation. Effectivement, différentes logiques de recrutement seraient à l'œuvre au sein d'un même établissement ce qui laisseraient entrevoir une diversité de formes et curriculum de remédiation ; seconde hypothèse de cette enquête. Par conséquent, ces dispositifs seraient susceptibles de concentrer des caractéristiques bien spécifiques, qu'elles soient sociales ou scolaires, à travers lesquelles les bénéficiaires pourraient vivre une expérience singulière de la réussite. En effet, si l'expérience universitaire découle d'une « forme scolaire flottante » (Jellab, 2011, p.119) qui est étroitement liée au contexte universitaire et aux conditions de vie des étudiant.es, alors le recrutement et l'accompagnement par ces dispositifs laisseraient percevoir un rapport et un positionnement au processus de réussite spécifique pour les étudiant.es bénéficiaires.

2. Méthodologie

Cette enquête de type ethnographique s'est réalisée à travers une approche qualitative alliant entretiens et observation. Plus précisément, c'est au sein de l'université de province Simone Veil, connue pour ses politiques d'ouverture sociale, que l'enquête auprès de 20 départements s'est déroulée selon deux principaux objectifs. Le premier ambitionne de contextualiser cet accompagnement à travers la direction des études afin de saisir son rôle dans la réussite étudiante. Pour cela, 28 entretiens semi-directifs auprès des directeur.ices des études ont été réalisés pour questionner la manière dont cette loi intervient dans l'exercice de leur fonction en soulignant les difficultés, les contraintes et les transformations rencontrées depuis l'application de la loi ORE. Une attention particulière a été attribuée à la mission de pilotage du dispositif de remédiation dont les résultats obtenus témoignent de diverses logiques de recrutement. Quant à la seconde phase d'investigation, elle s'est réalisée grâce à une observation non participante in situ au sein d'un atelier hebdomadaire de remédiation dans le but d'analyser sa place dans la socialisation étudiante (Lahire, 1997 ; Millet, 2003 ; Coulon, 2005). Ces 14 heures d'observation ont permis de comprendre les enjeux du dispositif, les objets travaillés ainsi que la façon dont les étudiant.es se saisissent du dispositif. Finalement, ces deux phases d'investigation mettent en exergue les diverses formes et curriculums de ces dispositifs de remédiation pour penser leur place dans l'affiliation au « métier d'étudiant » (Coulon, 1997), condition sine qua non à la réussite universitaire.

3. Résultats et discussion

Dans un premier temps, les résultats de cette enquête confirment l'existence de différences infra-universitaires, témoignant d'une mise en œuvre locale de la loi ORE au sein de l'université Simone Veil. Ces différences s'observent particulièrement dans le type d'organisation de la direction des études dont la mise en œuvre est propre à chaque département, dépendante du nombre d'étudiant.es dans la filière et de l'organisation curriculaire de la formation. Ainsi, cette dernière conditionne le périmètre d'action des directeur.ices des études puisque cette implémentation produit un cahier des charges local, en construction permanente dont la constitution est aussi évolutive qu'empirique. D'une part, cette flexibilité renforce une mise en œuvre dont l'appréciation est extra-locale et justifie, d'autre part, un mode de gouvernance décentralisé à l'intérieur d'un même établissement. En effet, un processus d'aménagement institutionnel basé selon le principe de décentralisation a été relevé puisque le mécanisme de gestion administrative donne un cadre aux acteurs institutionnels tout en déléguant une majeure partie des responsabilités aux instances locales. La loi ORE renforce ce procédé par les grandes marges de manœuvre laissées aux établissements. Simone Veil a fait le choix de déléguer la mise en œuvre aux départements, reflétant en outre la confiance institutionnelle accordée aux acteurs locaux. De ce fait, si la mise en œuvre de la réussite sous le prisme de la loi ORE est locale, elle est a fortiori plurielle. La réussite devient alors un terrain entre formalisation et expérimentation de diverses pratiques professionnelles, institutionnelles et politiques. En effet, le processus de réussite s'implante dans un environnement composé d'un écosystème riche et varié en termes d'acteurs, de mises en œuvre et de représentations. Par conséquent, une même mission peut être mise en œuvre de manière totalement différente selon le département, à l'exemple du mode de recrutement des étudiants dans les dispositifs de remédiation.

Dans un second temps, c'est l'appropriation des « oui-si » que cette enquête a cherché à appréhender. Si l'article 9 de l'arrêté licence de 2018 déclare que l'offre de formation « comprend les dispositifs nécessaires de remédiation et de remise à niveau, notamment pour les étudiants ayant été́ admis sous condition de suivre de tels enseignements », il n'est pas obligatoire dans la mesure où l'usage du « oui-si » en réponse sur Parcoursup n'est pas systématiquement utilisé par toutes les commissions d'examen des vœux. Néanmoins, l'université Simone Veil propose invariablement un dispositif de remédiation, sous forme de cours de remise à niveau, bien qu'une majeure partie de ses formations refusent l'utilisation du « oui-si » sur Parcoursup. Pour cause, de nombreuses formations considèrent l'étiquette « oui si » comme une forme de stigmatisation (Orange, 2017) en ce sens qu'elle postule d'un manque de capacités renforçant le poids discriminant du passé scolaire. De fait, l'enquête démontre des logiques de recrutement variées des étudiant.es dans ces dispositifs, qui s'éloignent de ce que la loi ORE avait initialement prescrit (oui-si) afin de répondre à la réalité pragmatique des formations. Résistante alors à certains aspects de la loi, l'université Simone Veil devient un véritable théâtre d'expérimentation de différents modes de recrutement, allant de la contrainte au volontariat libre ou incité, de telle manière que le profil du public accueilli varie selon le mode de recrutement. En effet, la visibilité et l'accessibilité du dispositif de remédiation attestent de caractéristiques socio-scolaires des étudiant.es diverses selon la logique de recrutement utilisée dont l'expérience vécue du dispositif devient alors tout aussi particulière que singulière. Par conséquent, ces logiques de recrutement représentent un indicateur de la façon dont la réussite est pensée par les formations, dépendantes donc des matrices disciplinaires combinés aux logiques de la direction des études. Ainsi, les missions de cette dernière, illustrées par les différents modes de recrutement en remédiation, sont investies selon les problématiques de la filière en termes de besoins et d'attentes. Finalement, c'est la capacité structurelle de la formation qui conditionne le périmètre d'action. De ce fait, l'identité du département s'impose comme marqueur d'investissement et d'appropriation locale du statut de la direction des études et de la mise en œuvre de la remédiation faisant de ces derniers des dispositifs intrinsèquement liés. Pour conclure, la façon de concevoir le processus de réussite en première année universitaire est fortement dépendante de la manière dont ces dispositifs sont pensés au sein d'une même formation.


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