Lorsque nous appréhendons la diversification de profil des étudiantes et étudiants à l'université, la diversité des modes d'apprentissages émerge également (De Clercq, 2023). En effet, en plus des facteurs identifiés comme influençant la réussite et le développement de la vie scolaire des étudiants, tels que l'origine sociale, les performances antérieures ou l'engagement personnel, De Clercq (2023) a souligné l'importance du contexte d'apprentissage et des pratiques d'enseignement (Duguet, 2015). Une priorité pour cela est de connaître les besoins, attentes et contraintes de chaque étudiant mais il est également primordial de prendre en compte les conditions d'enseignement de nos campus qui rendent cette tâche difficile voire impossible. C'est pourquoi nous rejoignons l'approche considérant la diversité comme globale (Madriaga et al., 2010). Ainsi, nous partons du postulat qu'une diversité de formats de présentation des contenus d'enseignement proposée aux étudiants puisse permettre de répondre aux différents modes d'apprentissages de ces mêmes étudiants. Cela s'inscrit dans une pratique de différenciation pédagogique (Perrenoud, 2017) qui vise une plus grande inclusivité (Dugas, 2022) en permettant l'accessibilité des contenus au plus grand nombre. Dans le cadre de cette communication, nous souhaitons nous concentrer sur l'audio, longtemps laissé de côté comme outil de médiation pédagogique. L'enjeu est de mieux comprendre l'impact et le potentiel des usages du support podcast comme médiation pédagogique, sous le prisme des différents acteurs concernés en milieu universitaire et de la diversité de leurs profils.
L'étude des usages sociaux de l'audio s'avère indispensable dans un moment où d'autres outils ont déjà été intégrés à l'apprentissage numérique, à savoir : les vidéos, les images, les serious games, sur lesquels les recherches concernant leurs usages et leur efficacité sont plus fréquentes[1]. A contrario, les études qui s'intéressent à l'emploi de l'audio dans l'enseignement sont très peu nombreuses. Pourtant, quand nous faisons une veille technologique sur l'apprentissage numérique, plusieurs formations proposent par exemple le « podcast » comme outil de médiation pédagogique. Néanmoins, une précision sémantique s'impose. Quand nous employons le terme podcast dans ces pages, nous faisons allusion à sa définition primaire, donc à la diffusion de fichiers audio par le web, ayant pour origine la contraction du baladeur numérique Ipod, créé par l'entreprise Apple en 2001, et du mot anglais broadcast, qui signifie “diffuser”. Il y a cependant un emploi parfois générique du terme renvoyant à tout type d'enregistrement qu'il soit sonore ou audio-visuel. Certains chercheurs adoptent en effet cette perspective, comme c'est le cas de Peltier (2016) : « ce que l'on appelle aujourd'hui les podcasts, c'est-à-dire des capsules vidéo » (Peltier, 2016, p. 19). Sa revue de la littérature destinée à traiter « l'usage des podcasts en milieu universitaire » fait état d'études prenant en compte l'emploi des vidéos dans l'enseignement et non exclusivement l'audiocast. C'est aussi le cas pour le projet IMPALA (Informal Mobile Podcasting And Learning Adaptations for Transition), mené par l'Université de Leicester, où la participation d'un ensemble d'universités britanniques « investigate the impact of Podcasting on student learning and how the beneficial effects can positively be enhanced ». Là encore, ils incluent dans la notion de “podcasting” les vidéos et les supports visuels, tels que les diaporamas employés par les enseignants. Par souci d'économie, nous nous limitons à ces deux exemples mais il convient de dire que d'autres formats sont considérés dans ce cadre conceptuel (Kay, 2012; Roland, 2012).
Cette précision sémantique faite nous revenons au noyau de notre proposition de l'audio comme support de médiation pédagogique, il semble adapté à la culture numérique (Doueihi, 2011), à la mobilité (Roland, 2013) et à différents profils étudiants (Nataatmadja & Dyson, 2008), même dans une perspective de technologie inclusive (Aslan's, 2011 ; Hall and Velez-Colby, 2011). De fait, l'audio constitue une alternative attirante dans une époque de grande adhésion au podcasting. Selon le dernier rapport de Médiamétrie (Janvier, 2023) l'écoute des podcasts en France a augmenté de 17% par rapport à l'année précédente et 61% des auditeurs de la génération Z (15-27 ans) pratique une écoute régulière. Cela montre une adhésion déjà existante à ce type de support qui peut être exploitée par le domaine de l'éducation. De plus, nos sociétés sont issues d'une tradition de l'oralité fondamentale dans le partage des savoirs et un héritage acoustique traversant les différentes époques (Risset, 2020; Schafer, 2010). De la sorte, l'audio permet de croiser la tradition de l'oralité avec les fonctionnements contemporains de la parole différée et technologiquement médiée.
L'audio offre de multiples avantages. D'abord, il rapproche les personnes : « la voix exerce un effet de présence et assure la tâche de l'incarnation de la personne » (Smati & Fiévet, 2016, p. 117). En effet, la voix implique en elle-même un sens expressif qui accompagne les mots, la dimension sonore mobilise des affects et des réactions. Les paramètres prosodiques influencent la manière dont un audio peut être perçu (Glevarec, 2017). Autrement dit, l'audio dispose de l'attractivité que la voix, les sons et les variations acoustiques offrent.
Ensuite, Clark et Walsh (2004) précisent que l'écoute est « an astoundingly efficient skill [...] listening is instinctual, [whereas] reading and writing are not » (cité par Chan & Lee, 2005). Ce point est partagé par Cebeci et Tekdal (2006) qui ont souligné : « one of the most important pedagogic characteristics offered by podcasting is learning through listening. For many people, listening may be more attractive and less tedious than reading. It is well known that human beings have used listening as a primary method for thousands of years in learning process. Listening may motivate students who do not like reading » (Cebeci & Tekdal, 2006, p. 49). De même que pour les étudiants qui n'aiment pas lire comme le précisent ces mêmes auteurs, l'audio est une alternative pour les étudiants présentant des handicaps visuels, par exemple. Par extension, cette accessibilité est aussi offerte à ceux rencontrant des difficultés de déplacement ou se trouvant à des distances éloignées de l'université. Mais également, il constitue un format séduisant pour ceux qui l'écoutent et un canal primordial d'apprentissage, rejoignant ainsi l'approche de la diversité globale.
Enfin, un dernier aspect à prendre en compte est que l'audio favorise la sensation d'interactivité : « un paradoxe marque les débuts de l'histoire des relations entre la radio et l'auditeur : celui-ci est absent de l'antenne, mais il est associé à la conception des programmes » (Deleu, 2006, p. 20). En effet, l'auditeur est le destinataire ultime du contenu produit et il a une place ratifiée par le locuteur, il conditionne les dynamiques interactionnelles (Heritage, 1998), la fabrication et la structuration du langage. Nous situant, d'ailleurs, au sein d'une culture numérique, adapter l'audio comme outil de médiation pédagogique permet de l'enrichir des potentialités que l'ère numérique met à disposition : « le sonore médiatisé détient un potentiel d'altération et de prolongement que la rencontre avec le numérique permet de cultiver singulièrement » (Equoy Hutin, 2020, p. 13). À cet égard, l'audio pourrait également favoriser la "fidélisation" des étudiants en référence aux travaux sur le discours radiophonique et plus particulièrement le discours d'information (Burger & Auchlin, 2007), soit, dans le contexte éducatif qui est le nôtre, susciter et conserver l'intérêt des étudiants dans leurs apprentissages et limiter ainsi le décrochage scolaire.
Nous menons notre recherche au sein du projet Nexus de l'Université Paul Valéry Montpellier 3 et particulièrement sur la plateforme des Briques en Humanités Numériques (BHN). L'un des objectifs de ces modules d'autoformation est de dispenser une formation en humanités numériques, s'appuyant sur une perspective interdisciplinaire, à tous les étudiants de Licence. Il s'agit de s'approprier l'utilisation du numérique et de développer un regard critique sur sa place dans la société. Il convient de préciser que ces modules sont proposés exclusivement à distance, mais ils font partie des maquettes curriculaires des formations à majorité présentielle. Celles-ci ont été proposées et suivies tout au long de l'année académique (2022-2023) par plus de 6000 étudiants et pour l'année en cours (2023-2024) il y a 6650 inscrits. Ce contenu est présenté aux étudiants dans une grande diversité de formats, chaque chapitre dispose des textes, des vidéos, des podcasts et des jeux interactifs. Notre recherche dispose d'une méthodologie mixte, qui nous permet d'inclure des entretiens semi-directifs, des données quantitatifs issus des expérimentations sonores et des carnets de bord du travail collaboratif avec les différents participants du projet. Notre étude est ainsi complétée par le retour même des étudiants utilisateurs des briques.
Visant à avoir, en ce sens, une perspective aussi pluridisciplinaire et pluridimensionnelle, propre aux différents domaines des auteures, nous complétons notre travail de terrain avec les étudiants par un travail collaboratif avec des acteurs du projet, tels que les ingénieurs pédagogiques, accompagnateurs des concepteurs de ces modules d'autoformation. À partir de leur expertise nous faisons une focalisation sur l'audio comme support de médiation pédagogique. Dans leurs pratiques, ils constatent que ce format est à la fois inclusif et interactif, un atout précieux dans la pédagogie.
D'abord, l'audio est un format léger, donc facilement transportable et nécessitant peu d'équipement. Par conséquent, les étudiants en situation de fracture numérique de par leur connexion ou leur équipement parfois sommaire, ont une plus grande facilité d'accès à ce format. Aussi, la légèreté de ce support le rend nomade, pour une utilisation partout. Ensuite, un autre avantage notable du format audio en tant que support pédagogique, est sa capacité à favoriser l'inclusion et l'accès au contenu pour certaines personnes en situation de handicap. Pour les personnes ayant un trouble de l'attention par exemple, ce format interactif peut permettre d'éliminer les distractions visuelles et donner la possibilité d'écouter en manipulant, ce qui, pour certains, favorise la concentration. Pour les personnes dyslexiques, ce type de support offre une alternative à la nécessité de lecture et leur permet d'avoir une meilleure confiance dans leur formation. Pour les personnes mal ou non-voyantes, ce support ajoute une expérience d'écoute interactive et scénarisée, ce qui change des lecteurs d'écrans parfois monotones. Enfin pour les non-entendants, la transcription fidèle du podcast rapporte le rythme et les ponctuations des échanges, ce qui rend la lecture plus dynamique. Enfin, le format audio est un support très apprécié par les enseignants. Sa création demande peu d'équipement et la scénarisation permet de concevoir des supports enrichis, augmentés, à plusieurs ou à une voix. Aussi, la protection de l'identité visuelle et de l'image de l'enseignant, frein souvent soulevé dans l'utilisation de la vidéo, permet une meilleure adhérence à ce type de support.
Ce retour empirique, met en valeur le rôle d'appui à l'apprentissage de l'audio dans une formation à distance et en autonomie, et accompagne dans nos pratiques le choix des supports pédagogiques.
[1] Geneviève Jacquinot en 1977 a réalisé un travail sémiologique sur l'emploi des images et des films dans l'enseignement. Nous faisons allusion notamment à son ouvrage « Image et pédagogie : analyse sémiologique du film à intention didactique ». Nicolas Roland rend compte également d'une expérience menée à l'Université libre de Bruxelles sur l'emploi de contenus pédagogiques audiovisuelles (Roland, 2012).