En quoi la réflexivité et le collectif sont les piliers – inclusifs - des réussites étudiantes. Etude d'un dispositif de méthodologie universitaire en première année à l'UJM.
Florence Courtade  1@  
1 : Nantes Université
Nantes Université

1. Contexte

L'entrée à l'université est un passage, une étape cruciale vers une nouvelle vie (Chevrier, 2021) caractérisée par une déstructuration du cadre de vie et d'étude (Boyer, Coridian & Elrich, 2001) avec des changements académiques, institutionnels, géo-logistiques, sociaux, personnels (De Clercq, Roland, Brunelle, Galand, & Frenay, 2018). Lorsque les étudiants arrivent en première année d'études supérieures à l'université, ils apparaissent souvent perdus et stressés (Kammoun et Naceur, 2023). Ils ont pour certains d'entre eux du mal à s'adapter (Masson et Ratenet, 2020). Ils manquent souvent de méthodologie de travail, d'autonomie, ne sont pas vraiment organisés, et pas toujours très matures (Chevrier, 2022). De surcroit, d'aucuns se démotivent vite (Alagui, 2018). Et peut-être même de plus en plus vite (Maulini, 2016). Par ailleurs, selon Albert Bandura, les croyances d'efficacité personnelle constituent le facteur clé de l'action humaine. Les recherches dans ce domaine ont permis de démontrer l'existence d'une certaine relation entre sentiment d'efficacité personnelle et performance ou persévérance chez des apprenants de tous âges (Galand et Vanlede, 2004), tout en mettant en lumière la nécessaire distinction entre sentiment d'efficacité personnelle et estime de soi (Lecomte, 2004). Or la méthodologie de travail ne s'invente pas et doit s'apprendre, au regard du contexte de la discipline, des enjeux des évaluations, des pratiques et des compétences visées. L'autonomie, elle aussi, s'apprend (Foray, 2016). Nous rappelons le paradigme de l'autonomie tel que posé par Holec (1994) qui repose sur « la capacité de mener activement et de manière indépendante, un apprentissage (Holec, 1994), et être capable de définir ses propres objectifs, contenus et modalités de réalisation, de choisir ses ressources et méthodes en conséquence, d'assurer le suivi de ses avancées et de les évaluer (Holec, 1990). Linard, en 2000, définit l'autonomie comme une méta-conduite, c'est-à-dire un mode supérieur de conduite intégrée, une capacité de gestion méta-cognitive de sa propre conduite qui doit être apprise : l'acte d'apprendre est toujours à réapprendre (Linard, 2000).

2. Enjeux

Comment alors, lutter contre le décrochage et parvenir à engager chaque étudiant primo-entrant à l'université dans ses apprentissages ? Comment respecter sa singularité ?

Sur quels champs de recherche s'appuyer pour nourrir les briques incontournables d'un module de méthodologie universitaire, dont le but serait de renforcer le sentiment de compétence ou d'efficacité personnelle de chacun des étudiants ?

3. Etat de l'art

3.1. Sentiment de compétence et représentations mentales

La première dimension à interroger pour la conception d'un tel dispositif est celle du sentiment de compétence et des représentations mentales. En effet, selon Albert Bandura, les croyances d'efficacité personnelle constituent le facteur clé de l'action humaine (Bandura, 1989 ; Lecomte, 2004). Le dispositif se doit alors de prendre appui sur l'analyse réflexive. Les démarches réflexives ont pour principal objectif de permettre à l'apprenant de comprendre comment il apprend, de développer des compétences métacognitives, c'est-à-dire, apprendre à apprendre, être capable de s'auto-évaluer dans son apprentissage et adapter des stratégies d'apprentissage selon les objectifs à atteindre (Albero et al., 2011). Ces compétences vont permettre à l'apprenant d'être justement plus autonome dans son travail mais aussi de prendre conscience et d'activer des compétences « dormantes » dont il n'avait pas conscience. Cette idée de permettre à chacun de révéler le potentiel qu'il a en lui, à lui-même d'abord, aux autres ensuite, nous rappelle l'art de la maïeutique de Socrate (Platon, -400 av JC) selon lequel chacun porte en lui le savoir, sans en avoir conscience, et par le biais de questionnements, l'esprit du questionné parvient à trouver en lui-même les vérités. A ceci près que le philosophe se concentre sur les connaissances (centrales à son époque) alors que nous nous concentrons aujourd'hui plutôt sur les compétences (centrales à notre époque). Or l'analyse réflexive ne va pas de soi. Elle doit être guidée (Abric, 2001 ; Albero, 2000 ; Linard, 2000 & 2003) voire sécurisée (Vacher, 2004). La capacité d'analyse réflexive semble non seulement être indissociable du renforcement du sentiment de compétence mais également être un levier d'autorégulation et d'autonomisation. Selon nous, l'analyse réflexive est véritablement une démarche qualité sur soi-même, au sens du modèle cyclique de la démarche d'amélioration continue de Deming (Deming, 1950) qui fait écho au cycle d'auto-régulation de Zimmermann (Zimmermann, 2002). Au regard des travaux sur l'autonomisation (George, 2013), cette première dimension donne à l'étudiant ses propres clés. Elle est en ce sens éminemment inclusive et place concrètement l'étudiant (Blaikie et al.,2020) ou plutôt son devenir (Ebersold & al., 2013 cit. par Pelletier, 2020) au cœur du système coopératif. Le savoir-devenir (Lison, 2022) est alors la compétence principale nourrie ou à nourrir.

3.2. Approche écologique des apprentissages

Le second axe de réflexion repose sur l'approche écologique des apprentissages, en lien avec les travaux sur le socio-constructivisme et le connectivisme (El Hage et al., 2014 ; Charles et al., 2017 ; Cristol, 2017 ; Baudrit, 2007 ; Barsade, 2002). L'ingénierie de conception d'un dispositif de réussite étudiante a pour objectif dans un second temps d'outiller les étudiants avec des éléments d'identification concrète de leur écosystème universitaire (l'institution, les services d'aide sociale et numérique, le service d'orientation et d'insertion professionnelle, les Bibliothèques Universitaires, les services de la Vie Etudiante), de leur donner l'opportunité d'identifier leur groupe de travail et de constituer leur communauté d'apprentissage. Mais aussi de créer du lien grâce aux associations culturelles et sportives. Le collectif est une des clés des apprentissages, mais aussi de la santé mentale et de l'équilibre des étudiants. Si l'on remet en perspective l'évolution des technologies dans notre société, nous sommes dans l'ère culturelle du réseau (Baron, 2019). L'idée est que les acteurs-partenaires des étudiants interviennent en personne pour que les étudiants les repèrent. À plus large échelle, cette seconde brique du dispositif doit leur permettre d'appréhender également leur futur écosystème professionnel (insertion, passerelles, réseaux professionnels). L'approche inclusive alors est que chaque apprenant puisse identifier ici son écosystème, pour qu'il puisse y trouver et choisir sa place ; et que celle-ci soit également reconnue et respectée.

3.3. Professionnalisation

Minvieille en 1993 déjà définissait les compétences comme des « habiletés cultivées ». Ces habiletés sont cognitives, comportementales, socio-affectives, attribuées et/ou incorporées par des individus singuliers et/ou collectifs (Minvielle, 1993). Le terme « habileté » renvoie à la capacité à faire et le terme « cultivée » induit son entrainement, son renforcement, son enrichissement et le fait cette capacité soit nourrie, dans la durée, d'informations et de savoirs. Alors, si l'on considère le métier étudiant (Coulon, 2017 ; Nassif-Gouin & al., 2019), il va être nécessaire de considérer ce qui sous-tend cette professionnalisation au sens de Fernagu-Oudet (2004). La structuration du dispositif doit donc proposer des outils concrets pour alimenter le savoir-faire opérationnel, la compétence-métier d'étudiant pour qu'ils soient en mesure d'élaborer leurs propres stratégies d'apprentissage, individuelles et collectives, en d'autres termes s'engager et mener leurs études à bien. Une fois qu'ils se connaissent et qu'ils connaissent l'écosystème dans lequel ils naviguent (Le Boterf, 1993), ils sont alors capables d'appliquer des méthodes de travail, de les intégrer et les combiner selon leur propre fonctionnement, celui qu'ils ont identifié comme efficace pour eux-mêmes (Fernagu-Oudet, op. cit). Reconnaitre qu'il puisse y avoir une diversité de méthodes identifiées comme efficaces pour et par l'étudiant-même pose en soi le caractère inclusif du dispositif.

3.4. Réussite

Enfin, dans cette étude, nous devons creuser les résultats de recherche sur la réussite étudiante. Il s'agit une fois pour toutes d'admettre collectivement que la réussite est un terme polysémique auquel chacun va attribuer un sens (direction, signification, plaisir) (Etienne, 2021). Reconnaitre qu'il puisse coexister des réussites et respecter la singularité de chacun constitue la base d'une approche inclusive (Gardou, 2012), qui est avant tout un projet social.

Richard Etienne montre la nécessité de combiner un module de méthodologie en ligne avec un accompagnement tutoral tangible (Etienne, 2021 ; Château, 2021). L'accompagnement de l'enseignant, sa conduite au sens pilotage du terme doit donc être visible (Hattie, 2008) pour les étudiants. Mais, l'accompagnement tutoral pourrait reposer aussi sur le partage d'expérience d'étudiants en 2ème, et 3ème année, en lien avec la littérature scientifique sur l'apprentissage expérientiel et le tutorat entre pairs (Clot, 2000 ; Cosnefroy & Jezegou, 2013 ; Duboscq & Clot, 2010). En effet, quoi de mieux qu'un étudiant qui a réussi pour parler à un étudiant qui veut réussir ?

A ce stade, la réussite de l'étudiant pourrait être envisagée alors comme un projet commun (au sens du mode projet dans les champs du management et de la gestion de projet) dans lequel plusieurs acteurs sont impliqués : l'étudiant lui-même, l'enseignant, les tuteurs, les accompagnants (sociaux, médicaux, soutiens handicap, administratifs...), les pairs, les proches. Cela rejoint exactement le savoir-devenir évoqué par Lison (Lison, 2022). Mais c'est également en substance ce que pose le modèle de coopération centrée sur le devenir de la personne d'Ebersold (Ebersold, 2013 ; Pelletier, 2020), en l'occurrence élaboré au regard des situations de handicap. A notre sens, ce modèle s'applique parfaitement à cette conception en mode projet. L'objectif final de ce projet serait celui défini par l'étudiant lui-même, en posant ses propres critères de réussite, de sorte que son projet d'étude, d'orientation et de vie prime (Etienne et al., 1992). Cette logique d'accompagnement à la réussite serait alors véritablement inclusive, en vertu du principe énoncé par Charles Gardou : la diversité est la norme (Gardou, 2012).

4. Présentation du dispositif expérimenté

Nous proposons de présenter le dispositif expérimenté auprès des 442 étudiants en première année de faculté de Médecine en clarifiant son contexte, les enjeux et ses objectifs spécifiques, les contraintes et les risques, le public et les acteurs particuliers. Nous proposons d'en détailler le scénario pédagogique, articulé en trois parties : Me Connaitre, Connaitre mon environnement, Gagner en efficacité ; le scénario d'accompagnement ; ainsi que la dynamique d'amélioration continue.

Nous livrerons les premiers résultats issus de deux questionnaires : un 1er pour identifier les étudiants, collecter des données socio-biographiques, interroger leur sentiment de compétence a priori, leur rapport au stress, leur confiance ; et un 2ème : pour guider leur analyse réflexive et EEE pour faire émerger des premières pistes de réponse.

5. Analyse et discussion

Nous soumettrons au débat nos premières analyses, notamment sur le fait que la pédagogie mise en œuvre ne semble pas être identifiée par les étudiants comme un potentiel facteur de soutien. Il est sans doute difficile pour eux de prendre conscience de cet impact et de le verbaliser. La question de savoir si un enseignement plus inclusif permettrait de les soutenir, plus, ou mieux, ne peut donc pas venir à l'esprit à ce stade.

L'autre dimension qui surgit est la problématique du vivre-ensemble : l'angoisse de se retrouver face à d'autres personnes dépasse le cadre de l'enseignement / des apprentissages et est un facteur bloquant. France Henri en 2010 posait les préalables au travail collaboratif : notamment avoir l'intention de travailler ensemble pour atteindre le but commun ; se sentir engagés envers le groupe ; manifester des attitudes de respect mutuel et de confiance ; veiller à la cohésion ; éprouver un sentiment d'efficacité du groupe (Henri, 2010). Dussarp écrivait en 2014 que la distance accentue les ressentis (Dussarp, 2014) mais il semblerait qu'après deux ans de confinement plus ou moins bien vécu, cela soit resté ancré dans les paradigmes sociaux. Aujourd'hui, on constate une expression des ressentis sans filtre, extrêmes, sans tolérance ni patience, avec parfois des troubles de santé, dépressions ou troubles du comportement associés. Ceci mettant à mal la condition sine qua non de respect mutuel.

L'approche inclusive imposerait alors une lecture dans deux directions, avec une double responsabilité : l'inclusion du sujet dans le collectif, favorisé par un ou des acteurs volontaires d'une part, mais également une action responsable de chacun des sujets vis-à-vis les uns des autres dans un vivre-ensemble collectif respectant la singularité de chacun.


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