Face au constat du fort taux d'échec à l'université en France, notamment dans les premiers cycles (Romainville et Michaut, 2012), de nombreux dispositifs d'aide à la réussite ont vu le jour, comme le tutorat, les ateliers d'aide à la méthodologie du travail universitaire ou les années de remédiation disciplinaire (Annoot et al., 2019). Néanmoins, les travaux qui ont tenté de mesurer et d'analyser les effets concrets de ces dispositifs sur la réussite des étudiants ont montré qu'ils pouvaient paradoxalement renforcer les inégalités sociales et scolaires entre eux, et ce pour deux raisons principales : en cas de « non-recours » (Warin, 2017) par les publics-cibles, et lorsqu'ils participent à (ré)affirmer le « paradigme de l'échec » (Bodin et Millet, 2011).
D'une part, les étudiants qui ont majoritairement recours à ces dispositifs sont également ceux qui ont le plus de chance de réussir leurs études à l'université (Annoot, Marchat et Poteaux, 2003 ; Borras et al., 2012). D'autre part, l'institution universitaire a tendance à valoriser le caractère strictement scolaire de la réussite étudiante, et ce au détriment d'autres formes de réussite plus subjectives, difficilement mesurables d'un point de vue quantitatif (Beaud et Pialoux, 2001). C'est pourquoi Paivandi (2016) considère que les dispositifs visant à favoriser la réussite étudiante devraient prendre en compte « l'étudiant et sa temporalité » (p.97), afin de distinguer la réussite personnelle de l'étudiant de ce qui pourrait par ailleurs constituer un échec aux yeux de l'institution universitaire.
Dans un contexte de diversification des publics étudiants (Erlich, 1998), le caractère polysémique de la notion de réussite apparaît de façon d'autant plus évidente que les dispositifs d'aide à la réussite étudiante ont cherché à s'adapter à la pluralité de leurs publics et de leurs visions de la réussite. L'accompagnement, notion elle aussi polysémique (Paul, 2009), a donc émergé comme une solution opportune pour traiter les publics étudiants de façon différenciée, selon leurs besoins et leurs attentes propres (profil, projet personnel et professionnel, rythme d'apprentissage, etc.). Toutefois, les dispositifs d'accompagnement personnalisé ont principalement été étudiés au prisme des enseignants et de leur professionnalité (Annoot, 2014 ; Paivandi, 2016). Cette communication se propose donc d'étudier l'expérience que font les étudiants du recours ou du non-recours aux dispositifs d'accompagnement personnalisé, afin d'éclairer leurs stratégies, leurs perceptions et leurs vécus du « métier d'étudiant » (Coulon, 1997) dans une université française lauréate de la première vague de l'appel à projet « Nouveaux Cursus Universitaire » (PIA3).
L'analyse de vingt-cinq entretiens effectués auprès d'étudiants considérés comme caractéristiques de la diversité étudiante en raison de leurs parcours (« réorientations », reprises d'études) et/ou de leurs profils (étudiants-salariés, sportifs de haut niveau, chargés de famille, élus étudiants) montre que la prise en compte de la temporalité singulière des étudiants octroyée par les dispositifs d'accompagnement personnalisé ne permet toutefois pas la prise en compte des temporalités plurielles de l'étudiant en tant qu'individu. Ainsi, les temporalités des dispositifs d'accompagnement personnalisé rentrent en contradiction avec celles des étudiants aux trois niveaux de l'organisation universitaire (environnement d'études, cursus de formation, acte d'apprentissage), qui structureront notre propos. Les témoignages des étudiants soulignent finalement l'importance des événements, des imprévus et de la quête de synchronicité au fil du parcours d'études, ainsi que les difficultés rencontrées pour être « acteur » quand il faut s'adapter à une temporalité institutionnelle et linéaire.
Bibliographie
Annoot, E., Marchat, J.-F., & Poteaux, N. (2003). Regards de tuteurs. Recherche & formation, 43(1), 47‑63.
Annoot, E. (2014). De l'accompagnement à la pédagogie universitaire : Quels enjeux pour la formation des enseignants-chercheurs ? Recherche et formation, 77, Article 77.
Annoot, E., Bobineau, C., Daverne-Bailly, C., Dubois, E., Piot, T., & Vari, J. (2019). Politiques, pratiques et dispositifs d'aide à la réussite pour les étudiants des premiers cycles à l'université : Bilan et perspectives. Cnesco.
Beaud, S., & Pialoux, M. (2001). Les « bacs pro » à l'université. Récit d'une impasse. Revue française de pédagogie, 136, 87‑95.
Bodin, R., & Millet, M. (2011). L'université, un espace de régulation. L'« abandon » dans les 1ers cycles à l'aune de la socialisation universitaire. Sociologie, Vol. 2(3), 225‑242.
Borras, I., Lendrin, N., Janeau, E., Macaire, S., & Warin, P. (2012). Peut-on forcer les étudiants à la réussite ? Évaluation du « non-recours » au tutorat à l'université. Post-Print. HAL.
Coulon, A. (1997). Le métier d'étudiant. L'entrée dans la vie universitaire. Presses universitaires de France.
Erlich, V. (1998). Les nouveaux étudiants. Un groupe social en mutation. Armand Colin.
Paivandi, S. (2016). Autour de la posture d'accompagnement à l'université. Recherche et formation, 81, 95-115.
Paul, M. (2009). Accompagnement. Recherche et formation, 62, Article 62.
Romainville, M., & Michaut, C. (2012). Réussite, échec et abandon dans l'enseignement supérieur. De Boeck.
Warin, P. (2017). Le non-recours aux politiques sociales. Presses universitaires de Grenoble.